- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
Le débat sur la révision de la Constitution du 18 février 2018, perçue comme un traité d’armistice entre belligérants de l’époque, ne date pas d’aujourd’hui. Tout le monde sait qu’en 2011 déjà, certaines dispositions de la Loi fondamentale étaient jugées obsolètes au point de faire l’objet d’une révision Constitutionnelle au forceps intervenue à la veille des élections générales. Une révision qui n’était manifestement pas du goût d’une frange importante de l’opinion nationale, décidée à obtenir notamment la reconduction du deuxième tour de l’élection présidentielle.
Parmi les tenants de cette revisitation pressante de la Constitution figurent des personnalités de haut rang dont la plupart peuplent actuellement l’opposition. Je ne fais pas ici allusion seulement à l’ancien Premier Ministre Adolphe Muzito qui a toujours soutenu, in tempore non supecto, que le constituant de la troisième République n’avait aucune légitimité pour rédiger un projet de Constitution, et que cette tâche est l’apanage exclusif des parlementaires élus par le peuple.
Un savant congolais, doctrinaire en droit de son état, en l’occurrence le Professeur Evariste BOSHAB, s’était même fendu d’un chef-d’œuvre épique en 2014, dans lequel il rappelait aux uns et aux autres qu’une Constitution qui ne s’ajuste pas à l’évolution sociologique, culturelle, politique, géopolitique et économique de la société, est susceptible de provoquer l’inanition de l’État. En d’autres termes, ce constitutionnaliste congolais de renom voudrait tout simplement dire qu’aucun sujet n’est tabou lorsqu’il s’agit d’apporter des améliorations au contrat social par excellence qu’est la Constitution.
Pas plus tard qu’au début du premier mandat du Président TSHISEKEDI, une crème de l’élite nationale constituée en un think tank dénommé G13 avait fait de la révision de la constitution son cheval de bataille. Les Delly Sessanga, Christophe Lutundula, Patrick Muyaya, Professeur Ndjoli, Claudel Lubaya et autres sociétaires du G13 fustigeaient notamment la léthargie dans l’administration des provinces et l’inertie du parlementarisme à outrance face à l’épaisseur de légitimité du Président de la République élu au suffrage universel direct. À l’époque ces intellectuels congolais pestaient notamment contre d’interminables conciliabules politiciens préalables à la mise en place de l’exécutif. La majorité FCC-CACH de l’époque avait figé le Premier Ministre Ilunga Ilunkamba dans l’inaction pendant plus de trois mois sans le moindre consensus sur la possibilité de former un Gouvernement.
- RENVOYER AUX CALENDES GRECQUES UNE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE QUI S’IMPOSE ?
À vrai dire, l’opinion nationale est pleinement consciente des failles contenues dans notre Constitution comme dans toute œuvre humaine, et de la nécessité d’une mise à jour urgente.
Il suffit par ailleurs de recourir à la Loi fondamentale elle-même pour y déceler des dispositions constitutionnelles pertinentes qui indiquent clairement la voie à suivre aussi bien pour la révision que pour le changement de la Constitution.
À cet égard, il convient de bannir toute procrastination et politique de l’autruche qui voudrait que le pays continue à faire du statu quo constitutionnel au lieu d’ôter les pesanteurs constitutionnelles qui freinent le décollage du développement endogène.
- LE PRÉSIDENT A RAISON, IL EST BLOQUÉ
La Constitution actuelle a manifestement tendance à figer le pays tous les 5 ans, à l’orée de chaque législature.
La loi fondamentale de la troisième République fixe à 5 ans la durée du mandat du Chef de l’État, de même pour les députés nationaux, sénateurs, députés provinciaux et gouverneurs des provinces. Par conséquent, le Chef de l’État, généralement investi le mois suivant le scrutin général, se retrouve à cohabiter avec les autres institutions dont les animateurs sont sortants. De surcroît, l’Assemblée nationale doit attendre la fin des contentieux électoraux pour avoir un bureau définitif permettant l’investiture du nouveau Gouvernement. Au même moment, les assemblées provinciales doivent préparer l’élection des gouverneurs et sénateurs. Cette période prolongée place le Chef de l’État investi dans l’impossibilité de dérouler son programme quinquennal, l’obligeant à attendre la mise en place des autres institutions dont les animateurs sont élus en même temps que lui.
Pour palier à cette impasse, la raison ne commande-t-elle pas de dissocier les durées de mandats des uns et des autres pour fluidifier l’administration du pays ? À titre suggestif, les élus nationaux pourraient avoir une durée de mandat de 7 ans ou moins, tandis que le Chef de l’État pourrait quant à lui avoir une durée plus longue, de sorte que chaque institution puisse avoir sa propre durée de vie afin d’éviter un chevauchement du vide.
Au demeurant le même blocage a également été vécu sous Joseph Kabila, élu en décembre 2011 et ayant pris fonction en janvier 2012, qui n’a pu nommer Matata Ponyo Premier Ministre que le 05 mai de la même année.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, élu en décembre 2018, le Président Félix TSHISEKEDI a pris ses fonctions le 24 janvier 2019, et n’a pu, dans un contexte d’alternance au sommet de l’État, avoir son premier gouvernement que le 27 août 2019, soit 9 mois plus tard. Pourquoi ? Parce qu’il fallait à chaque fois attendre la proclamation des résultats des élections des députés nationaux pour constituer une majorité parlementaire, puis attendre la fin des contentieux devant la Cour constitutionnelle pour avoir la liste définitive des élus nationaux et passer au vote du bureau définitif de l’Assemblée nationale, seul habilité à investir un nouveau gouvernement.
4.QUELQUES ARTICLES À PROBLÈME DANS LA CONSTITUTION EN VIGUEUR
Toute raison gardée, est-il possible de nier que plusieurs articles de notre Constitution ne favorisent pas une respiration normale des institutions ? J’aimerais, à titre illustratif examiner avec le lecteur les quelques articles ci-après.
Article 9 :
Il est dit que l’État exerce une souveraineté permanente sur le sol et le sous-sol. Il serait souhaitable de préciser clairement que le sol et le sous-sol appartiennent à l’État.
Article 217 :
Il est dit qu’au nom de l’unité africaine, l’État peut céder des pans de notre territoire. Cette idée devrait être élaguée de notre loi fondamentale, car elle est une aberration aux yeux des nationalistes congolais.
Article 51 :
Cet article parle de la protection par l’État des groupes minoritaires. Dans un pays où l’on compte 450 ethnies, il n’est pas pertinent de faire référence à des minorités, puisque chaque ethnie a son identité individuelle en RDC. En parler pourrait consacrer des spécialités sur certains groupes, qui pourraient utiliser cet argument constitutionnel pour se victimiser.
Article 4 :
Nous avons connu l’époque où le ministre de la Décentralisation, Maître Azarias Ruberwa, sur la base d’une décision du Conseil des ministres, a porté la création d’une municipalité contre l’opinion d’une écrasante majorité des Congolais. Cela a été fait en se fondant sur l’article 4 de la Constitution. Cette expérience nous pousse à réfléchir sur la nécessité de clarifier cet article.
En outre, certains Congolais pensent aujourd’hui qu’il faudrait préciser dans la loi fondamentale le rejet du cumul de candidatures. Car l’opinion a du mal à accepter qu’une seule personne puisse être candidate à plusieurs postes : conseiller municipal, bourgmestre, député provincial, député national, sénateur, gouverneur et même président de la République.
- ÉPILOGUE
Les interprètes de la Constitution congolaise qui écument différents médias la qualifient, en se fondant sur l’organisation des pouvoirs, de « régime semi-présidentiel ». Qu’en est-il vraiment ? Répondre à cette question suppose de savoir ce qu’il faut entendre par « régime semi-présidentiel ». Il désigne un système politique qui réunit deux éléments : un Président élu au suffrage universel et doté de pouvoirs propres d’unepart, et un Premier Ministre ou un Gouvernement responsables devant le Parlement, d’autrepart. Au regard de ces caractéristiques, la RDC est bien dotée d’un régime semi-présidentiel.
Cependant, l’existence de ce régime ne fait pas l’unanimité du point de vue stricto sensu de la doctrine. La principale critique développée est que ce régime ne correspond pas à une réalité pratique : les régimes qualifiés de semi-présidentiels par Maurice Duverger ne le sont pas dans pratique, dans la mesure où l’effectivité des pouvoirs est détenue soit du côté parlementaire, soit présidentiel.
Par ailleurs, si la nuance entre régime et système politique permet en grande partie de répondre à ces critiques, force est de constater qu’elle n’a pas eu l’impact escompté et que la notion continue d’être « boudée » par un grand nombre de constitutionnalistes. Cependant, quand on voit le nombre de pays qui font ostensiblement le choix de ce régime aujourd’hui, il est difficile de nier sa réalité. Souvent, on bascule aisément dans les faits vers un régime présidentiel tacite. D’ailleurs,dans le subconscient collectif congolais, tout acte de pouvoir émane du Chef de l’État. Certains peuvent traiter cela de paternalisme, mais d’autres pensent qu’il s’agit d’un besoin réel d’installer un régime présidentiel. Pourquoi ne pas alors demander au peuple ce qu’il en pense par référendum ?
Le drame de notre pays est que la réflexion d’intérêt général est souvent suspendue à des considérations subjectives. On se refuse à mener une réflexion dès lors qu’elle est portée à la place publique par Félix Tshisekedi. Ce n’est pas parce que le besoin de débat ne se fait pas ressentir, mais plutôt parce que l’on ne souhaite pas que le triomphe de l’écho favorable de cette pensée au sein des masses soit porté par lui. Difficile de parvenir au progrès tant souhaité lorsque l’on ne prend pas le taureau par les cornes. Ou on veut le progrès social et on se soumet aux réformes nécessaires, y compris constitutionnelles, ou alors on renonce à tout développement, ce qui serait suicidaire pour notre existence en tant que nation…